Fin de soirée [PV Dylan]

Minuit, heure de fermeture d’un petit bar parisien dans lequel je travaillais quatre soirs par semaine. J’ai fermé la porte arrière du bar et suis allée devant l’entrée principale du « Todd’s » pour rendre les clefs au proprio. Après avoir échangé quelques plaisanteries sur un client qui avait été particulièrement odieux avec mon collègue, nous nous sommes quittés.
La nuit était fraîche, les nuages envahissaient peu à peu le ciel, cachant la lumière de la Lune, créant une atmosphère de film d’horreur. J’ai sourit à cette pensée et ai refermé jusqu’au menton ma veste. Il ne faisait pas particulièrement chaud.

Un petit nuage sortit de mes lèvres quand j’ai soufflé, je l’ai regardé disparaître dans la nuit et ai commencé à marcher.
Je n’avais aucune envie, en ce vendredi soir, de rentrer chez moi. Comme c’était le week-end, je pouvais bien m’accorder un détour dans les ruelles de Paris ! Idée acceptée, j’ai dévié ma route. J’ai erré quelques temps dans les rues marchandes, suis passée par les champs Elysées et ai eu une envie de longer la Seine.
Engagée dans une petite ruelle lugubre, je marchais en toute insouciance, attendant le moment où j’allais atteindre le cours d’eau. En cours de route, je me suis allumé une clope que j’ai fumée tranquillement. Ca faisait un moment que je n’en avais pas fumé, étant légèrement accro, j’avais ressenti le manque durant tout le service, surtout quand je voyais les clients de la partie fumeuse du bar se griller leur clope en toute insouciance.
Maintenant, c’était mon tour, je faisais des petits ronds de fumée, essayant à chaque fois de battre le nombre d’anneaux consécutifs que j’arrivais créer. Mon maximum étant quatre.

Non, le record ne serait pas pour cette nuit, déjà ma clope était terminée sans que j'ai passé le stade des cinq ronds de fumée. Je l’ai écrasée de mon talon et ai continué mon chemin. J’ai croisé quelques clodos que je voyais les matins de semaines quand j’allais à l’Uni, et d’autres que je connaissais pour parler avec eux, fumer un joint avec de temps à autres. J’en ai salué un que je connaissais mieux que les autres, Bill, un ancien employé d’une usine de Peugeot qui avait été viré.

Enfin j’arrivais à la Seine, sur les petits trottoirs qui longeaient le fleuve. Je me suis arrêtée à un endroit que j’aimais bien, un petit coin près d’un pont, caché, à l’abri de toute lumière. Je me suis adossée au mur et ai senti mon ventre crier famine. C’est vrai qu’avec tout ça, j’avais rien mangé…
Bah, tant pis, j’avais l’habitude. Je me suis prostrée sur moi-même contre le mur et ai regardé l’eau miroitante. Sa surface lisse me passionnait, j’aimais bien voir ces quelques remous qui survenaient de temps à autres. J’arrivais voir les reflets des gens si je me mettais dans un coin bien précis. Quelques personnes passèrent à cette heure avancée de la nuit. Pas si avancée que ça pour les fans de discothèques, remarque faite. J’ai entendu quelques ivrognes passer sur le pont, chantant à casser les oreilles de ce barde dans Astérix et Obélix qui casse les pieds de tout le monde avec sa lyre…
Mouais, je sens que je vais arrêter de comparer les ivrognes aux bardes de BDs…

- Tu deviens timbrée, ma fille…

J’ai sourit. Cette manie de causer toute seule me prenait quelques fois, dès que j’étais seule et que je n’avais pas épuisé mon quota de paroles pour la journée !
Je reprend une clope dans mes mains et l’allume. Dans mes grands moments d’ennui, j’ai la facheuse tendance à fumer… Et j'ai recommencé a tenter de battre mon petit record.
Ensuite un bruit.
J'ai arrêté de jouer.
Je me suis tournée.
Une silhouette ?

Il m'a donné vingt quatre heures pour lui ramener la bague. Encore un de ses ultimatums bidons. Pour tout dire, ça fait plus que trente fois qu'il me donne une "dernière chance de la ramener sinon je t'étrangle" et je ne suis toujours pas mort, et je suis toujours propriétaire de la bague. J'en suis venu à ne plus craindre ses menaces. Je sais qu'il ne me tuera pas tant qu'il n'aura pas la bague, parce que je suis sa seule chance de la retrouver un jour. Heureusement que j'ai été futé. Il me fait chercher dans tout Paris, mais il ne pensera jamais à chercher juste de l'autre côté de la frontière avec l'autre ville. Je suis trop brillant, un véritable génie… pour la race des ratons. Parce que je ne peux pas vraiment me comparer avec la race des universitaires diplômés. Pas du tout en fait. Je n'ai qu'à repenser à la fois où je lui ai demandé de me lire son livre, et qu'il m'a presque injurié parce que c'était ce qu'on faisait avec les enfants … Sa surprise quand il va apprendre que je ne sais même pas lire… En fait, je préfère qu'il ne le sache pas. Ça vaut mieux pour moi. Ou peut-être qu'il a fini par le remarquer tout seul. Remarque, il n'est pas vite, lui non plus.

Je ne peux pas croire qu'il ne se soit pas encore aperçu du fait que je fais tout sauf chercher une bague pendant que je sors. Juste la nuit dernière, je suis sorti avec Souny, pour aller voir Iron Man au cinéma. On est resté dans la salle toute la nuit, et on l'a regardé jouer trois fois d'affilé, en se bidonnant toujours autant à chaque fois. Faut dire, quand on était p'tits, on lisait les bd dans sa chambre, de tous les héros de Marvel. On les connaît sur le bout de nos griffes, et on ne s'en lasserait pour rien au monde.

S'il y avait un enfer et un Paradis pour les ratons, je crois que j'irais en enfer. J'ai beau être adorable et faire craquer tout le monde avec mes moues attachantes, il n'en reste pas moins que je bousille l'un des dix commandements à chaque fois que je touche à quelque chose. Et c'est pas très winner une fois rendu devant st-pierre, ça.

Une fois sur le bord de la Seine, j'entends des petits clapotis réguliers, par bonds de deux, de trois ou de quatre. Cool, quelqu'un qui fait des ricochets. J'en veux moi aussi. Je continue à marcher sur le bord de l'eau, ramassant quelques pierres que je glisse dans mes poches, tout en continuant d'avancer. Quand j'ai été assez proche pour voir la silhouette, celle-ci a arrêté de jeter ses cailloux dans l'eau, et j'ai senti sa tête qui se tournait par ici, j'ai senti son regard me chercher. Je me suis avancé encore. Cette méfiance n'est pas celle d'un vampire, ceux qui croient que la nuit leur appartient. Cette méfiance peut être celle d'un hybride, ou alors d'un humain pas trop con qui sait que les rues sont dangereuses. Au cas où ce serait un humain, je prends soin d'ajuster mes verres fumés sur mon nez, pour bien masquer mes yeux, typiques à mon animal totem.

-Yo, je fais en approchant.

La silhouette se découpe un peu mieux, c'est une femme. Mais ça je le savais déjà, à cause de l'odeur, bien qu'elle ait été mélangée à celle de deux ivrognes. Je secoue mes poches, pleines de cailloux.

C'est quoi l'record à battre ? je dis avec un grand sourire qui aurait découvert mes petites dents pointues si on avait été en plein jour.

listening to Placebo - Song to say Goodbye

C’est un type, assez jeune, je dirais entre quinze et dix-huit ans. L’est petit et pas vraiment gras. Faudrait peut-être lui dire de pas oublier de manger… Mouais, je suis mal placée pour dire ça après ce que j’ai vécu… Je penche la tête en arrière pour mieux voir ses traits. Il porte des lunettes en pleine nuit ? Ca me fait sourire. Il y en a qui sont vraiment… spéciaux. Mouais, je suis pas mal non plus dans le genre « spéciale ». Il doit se prendre pour une star qui passe incognito dans Paris… Tiens, je vois pas les gardes du corps !
Je répond d’un « salut » à son « yo » (non mais quelle phrase débile je met là !) et le voit s’approcher. Je lance un caillou à l’eau. Deux ricochets. Un autre, trois. Il me demande quel est le record. Ca me fait rire. J’arrête de lancer les ricochets et me décale un peu pour lui laisser la place de venir et même de s’asseoir s’il le veut. Je reprend mon calme et lance un dernier caillou. Yes ! Record battu.

Je lance :

- Bah là on vient de passer la barre des six. Nouvel objectif : sept. Celui qui bat le record en premier se fait payer à boire… si on trouve un endroit où boire à c’t’heure. Tu tiens le pari ?

J’ai envie de m’amuser un peu, après toute une soirée à se faire chier avec des cuistots concentrés sur leur boulot et un patron à l’affût de la moindre connerie, j’ai besoin de me détendre. Après, s’il refuse, ce n’est pas grave. C’est juste pour la déconne, se faire un petit délire avec un sinistre inconnu. Bon, sinistre c’est pas pour le qualifier, c’est juste que c’est une expression… Pourquoi je me justifie moi ? Je balance un caillou. Quatre. Pas terrible par rapport au score que je viens de faire ! Je relance une pierre, ah, cinq. C’est déjà mieux.

- A ton tour…

Je ne m’ennuie pas avec le vouvoiement, on sent à plein nez que ce type n’est pas le genre à vouvoyer les gens, du moins c’est l’impression que j’ai. Après, reste avoir si c’est une bonne impression ou pas.
Et je me vois mal vouvoyer un gars de quinze/vingt ans... Ca me rappellerai trop un prof de Maths que j'avais... Glauque...

- Moi c’est Lexia. Juste au cas où…

Ca me fait penser à la façon dont je m’étais présentée au cours d’Art, la première journée… Les gens avaient bien rit en entendant ma façon nonchalante de parler… J’ai allumé une clope et l’ai portée à mes lèvres. Tiré une taffe et l’ai soufflé en formant des petits cercles… Paraît que Charlie Chaplin a prévu un héritage à la personne qui ferait plus de ronds de fumée que lui… Je sais pas quel était le record, mais pour qu’il fasse un héritage, c’était sûrement parce que le nombre était élevé. Ca m’a fait rire.
Je reprend mon calme et regarde le type à côté de moi… A son tour de lancer le caillou…
Tout ça me rappelle mes jeux d’enfants, c’est marrant.

La fille que je ne connais pas encore lance son galet avant de me répondre. Six ? Facile à battre. Enfin, avec ce qu'elle me dit juste après, j'ai tout intérêt à ce que ce soit facile. Lui payer à boire … et avec quoi ? Je pourrais toujours lui piquer de l'argent dans ses affaires. Ça, ce serait très facile pour moi, et elle ne verrait rien aller. Je lui paierais son verre avec son fric et elle serait contente quand même parce qu'elle ne le saurait jamais. Par contre, rentrer dans le bar, c'est faisable. Je me glisse par une fenêtre, j'entre par effraction et vlan ! le tour est joué. Seulement, c'est de passer au bar qui serait dur. À moins qu'elle ait envie de se faire payer un verre de jus d'orange, je ne pourrais pas grand-chose pour elle. Avec ma tête, personne n'est assez con pour accepter de me vendre de l'alcool. Certaines personnes me donnent encore à peine douze ans. C'est bien pratique parfois, mais là … Na, pas dans ce genre de paris. Je n'ai qu'à battre son record avant elle, et ce sera parfait. C'est moi qui aurai le verre gratuit. Un type comme moi ne renonce jamais à quelque chose de si gentiment offert.

-A ton tour… me dit-elle.

Je ressors ma main de ma poche, là où j'ai posé les cailloux que j'ai ramassés en chemin. Il y a trois petits galets dans ma paume. Je les examine avec minutie, les passant tour à tour devant mes yeux experts. Mes doigts s'agitent pour déloger la poussière. Si c'est sale, ça ne frappe pas l'eau de la même manière. Enfin, on sait bien : ma spécialité c'est la saleté, pas les lancers de cailloux. Mais la logique me dit qu'avec de la poussière, le caillou ne rebondit pas de la même manière. Lan le Pompeux me dirait sans doute de remballer ma pseudo-logique à deux balles, mais moi j'y crois. Je suis peut-être naïf des fois, mais quand j'ai raison, j'ai raison.

-Moi c’est Lexia. Juste au cas où…

-Moi c'est Lan, au cas où...

Mensonge, gros mensonge. Mais c'est un gros mensonge qui m'amuse et que j'ai pris l'habitude de faire passer le plus souvent possible. Ainsi, si un vol me retombe dessus, c'est en fait sur ce maudit vampire que ça va retomber. Partout où je vole, je laisse ses initiales. Et partout où je rencontre des gens, je donne ce nom. Parfois au complet, et parfois avec la grande pompe qui va autour : Sir Lan de Varen. Ça a commencé avec ce petit con auquel j'ai réussi à faire croire que j'étais le chef du plus gros réseau de pickpocket de Paris et que j'avais des gardes armés tout autour de nous pour qu'il ne tente rien de stupide. Ça a si bien marché que j'y ai pris goût. Et je sais aussi que Lan serait furieux s'il l'apprenait. C'est ce qui rend le tout si amusant et dangereux.

Je regarde la fille jouer avec la fumée de sa cigarette. J'aime pas les cigarettes. C'est le meilleur moyen pour raccourcir une vie, et la mienne sera bien assez courte comme ça. Si je me mettais à fumer, houlà ! Je ne serais plus là à Noel.

-Tu sais qu'tu d'vrais pas fumer comme ça ? je lui dis en lançant mon premier caillou, qui égale du premier coup le record de tout à l'heure. Ouhoooo ! T'as vu ça ? Je t'ai presque battu !

Je fixe mon attention sur les petits cercles dans l'eau, impressionné. Encore deux coups, et ce sera à son tour. Mais d'ici là, j'ai le temps de la battre.

-T'sais que chaque cigarette t'enlève environ cinq minutes de vie ? En plus des cinq minutes qu'tu prends pour la fumer, et qu'tu perds alors qu'tu pourrais faire aut' chose. Ouais ! Encore six.

Je lance mon dernier caillou. Cinq seulement. Je soupire et lui fais signe que c'est son tour. Pendant qu'elle fume toujours, je saute pour atteindre une branche de l'arbre avec mes mains. Une fois agrippé, je me balance pour taper le tronc avec mes pieds et me hisser dessus. De mon perchoir, je continue d'observer la Seine, et la Lexia.

listening to Ayumi Hamasaki - Ourselves

Il tien le pari, parfait ! Maintenant que j’ai eu la prétention de le mettre au défi, il me faut absolument gagner. De quoi j’aurais l’air sinon ? Mes doigts frottent le sol dans l’obscurité, à la recherche du moindre galet susceptible de convenir. J’en trouve un qui me semble bon puis me met à la recherche d’un autre. Il se présente sous le nom de Lan. Plutôt space comme nom, je n’avais jamais entendu ça avant. Remarque, Lexia c’est pas mal non plus dans la catégorie « bizarre ». Je regarde alors l’eau, enregistrant l’information et tire une taffe tranquillement.
Quand Lan me dit que ce n’était pas bien de fumer, j’ai pouffé ironiquement. Il lança son caillou. J’étais sur la bonne voie pour débourser mon fric ! Ce mec avait battu le record que j’avais difficilement passé du premier coup… Il allait falloir que je me dépasse.

Puis il reprit. Quant à moi, j’écoutais ce qu’il allait bien pouvoir me sortir comme salade au sujet de la clope et de ses méfaits.
Il me parla du temps de vie que je perdais en grillant une clope, puis du temps que je perdais tout court. J’aurais pu croire que c’était une mère au foyer qui couvait ses gosses qui me sermonnait !

- T’es doué pour les ricochets… Pour la clope, franchement je m’en fous du nombre de minutes que je perds en m’en grillant une. Sur ce, je tire une nouvelle taffe. On ne dirait pas un ado quand tu parles de ça mais une maman poule, sans vouloir de vexer bien sur.
Surtout que 90% des jeunes de ton âges, les ados quoi, fument déjà comme des pompiers et bien plus que moi ! Alors entendre parler quelqu’un de la sorte, franchement, ça fait triper.

Je jette ma clope sous mon talon et l’écrase. Qu’il ne croie pas que ses paroles ont eu leur petit effet sur moi, c’est juste que je l’avais terminée. Pendant qu’il monte à l’arbre sous mes yeux à la fois ahuris et rieurs, je fouille le sol pour trouver un troisième galet qui puisse convenir. Trouvé !
Je me concentre, regarde la surface de l’eau, passe doucement le doigt sur la surface lisse du caillou et le lance. Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq… Six… et… Naaan ! Ptain j’ai raté le septième. Je grogne tout bas puis me marre. Franchement quelle mauvaise perdante je peux être. Bah, je m’en fous…

Je relance un galet dans l’eau. Cinq cette fois-ci… Tu régresses Lexia, fais gaffe ma vieille ou tu va te faire arnaquer par un ado ! Allez, concentration…
Six… Ouais, le niveau remonte. Je cherche d’autres galets au sol et regarde vers le haut, à la recherche de la silhouette de Lan.

- Ca va, c’est confortable là-haut ? T’as une belle vue sur la Seine en pleine nuit ?

Je me demande s’il va tirer du haut de l’arbre. Selon moi, ce serait du pur gâchis, une chance de moins de gagner. Je ne vois vraiment pas comment il pourrait réussir à faire ne serait-ce qu’un seul ricochet de son perchoir.
Mouais… J’ai jamais essayé de tirer du haut d’un arbre, alors je pense pas être apte à juger s’il va bien tirer ou non…

- Tu vas essayer de faire des ricochets d’en haut ? De l’arbre ? Si tu arrives battre mon record d’en haut, je te file 20 € direct ! En plus du verre à boire… Y a beaucoup à gagner mon gars… Fais gaffe quand même !

Mouais… j’ai bien fait ou pas ? Bah tant pis, j’ai déjà payé le loyer, l’électricité et tout ce qu’il y avait à payer, alors j’estime que je peux bien me priver de 20 € surtout s’il réussit son coup… Puis, pour rire, je rajoute.

- Et si tu fais moins de 2 ricochets, tu me paies un truc hyper bon dans un de ces bars BCBG… Si tu y vas accompagné d’un adulte je crois que ça marche…

Oulah, la soirée de tous les délirs… Fallait pas exagérer au point de parier mon appartement quand même(^^). J’ai rit silencieusement et ai attendu…

- C’est donc ton tour Lan… A toi de jouer !

En l'écoutant déblatérer sur son je-m'en-foutisme de la clope, je me prends à rigoler, de ce petit rire que tout le monde trouve si adorable quand il vient de moi. Après tout, raton rime avec mignon. C'est-y pas vrai ? Enfin … où je m'en allais avec ça moi ? Ah oui, mon petit rire. En fait, ce que j'ai trouvé marrant, c'est qu'elle compare les gens qui fument avec des pompiers, alors que tout le monde sait que la vrai expression, c'est fumer comme une cheminée ! Enfin, moi je le sais … Depuis quand les pompiers font de la fumée. N'empêche, je garde cette petite pensée pour moi, en haut de mon perchoir, et la regarde avec attention alors qu'elle effectue ses lancers de cailloux.

Une chance pour mon maigre revenu, elle ne réussit pas à passer la barre des six une seule fois. Et pas qu'une chance ! Je dirais que pour une fois, le bon dieu – sur son nuage de flanelle – est de mon côté. Non mais c'est vrai, quoi ! Il n'était pas là quand j'ai piqué la bague de Lan ! Qu'on n'essaie pas de me faire croire qu'il veillait sur moi. Tomber sur ce vampire est le pire coup du destin qui m'ait été donné. Sauf peut-être d'être tombé sur une fille, une fois, qui portait au cou un saphir que j'avais volé dans un musée d'Italie, en visite avec mes parents, quand j'avais des parents, une maison… de la bouffe à volonté… 'fin je ne me plains pas : ici j'en vole à volonté ! Enfin bon, cette fille avait réussi à tomber – par hasard, forcément – l'un de mes nombreux trous à trésors. Je me souviens que ce saphir était seul dans son trou, qu'elle n'avait donc rien d'autre qui m'appartenait. N'empêche, ça m'a fait un choc. Surtout qu'elle a refusé de me le rendre ! J'étais fou de rage ! J'ai même grogné. Vous vous imaginez ? Ah non … tout compte fait, je crois que la pire chose qui me soit arrivée, c'est d'avoir soudainement muté en raton-garou. Je sais que je suis très mignon, en raton, mais je suis sûr que j'aurais été craquant et croquable – ne pas le répéter devant un vampire – même si je n'avais été qu'un humain normal. Si je l'avais été en tout cas, mignon ou pas, j'aurais encore eu des parents. Mon père m'aimerait encore et je ne serais pas à la rue. Je ne connaitrais pas Souny, non plus … mais vu comme elle me tire dans les ennuis, je ne sais pas si c'est une bonne chose de la connaître ou non.

Je me tire de mes pensées quand elle me demande si je suis bien sur mon perchoir. Je hoche la tête, même si je sais qu'elle ne doit pas l'avoir vu. Après tout il fait noir, ce n'est qu'une humaine et sa vision nocturne n'est pas aussi bonne que la mienne – je porte quand même des verres fumés dans le noir, non ? – et j'ai la tête en bas. Difficile de dire si je hoche ou si je déhoche.

Et le nouveau défi est lancé. Preneur du pari, je hoche la tête avec vigueur. C'est pas plus dur à l'endroit ou à l'envers, et voir comme je suis étrange aux yeux du monde, ce doit être plus facile pour moi de faire quelque chose la tête en bas, à l'inverse du sens du monde. Mon sourire s'élargit, et je suis sûr que mes petites dents blanches et légèrement pointues luisent dans la nuit. Je glisse la main dans ma poche qui – miraculeusement – ne s'est pas renversée sur le sol, sous moi. Il me reste exactement quatre galets dedans, de ceux que j'avais ramassés plus tôt. Je les sors de là, tourne la tête vers l'étendue d'eau, à moins d'un mètre que moi. Je me tortille sur la branche pour avancer plus au bord, à la hauteur de Lexia. Quand je suis juste au-dessus d'elle, je m'étonne que la branche n'ait pas cassé, mais après tout, tout le monde me dit toujours que je suis moins qu'un poids plume. Tout énervé par la complexité du défi, je frétille. On peut trépigner quand on est suspendu dans les airs, la tête en bas ? Je trépignerais si j'étais au sol, en tout cas !

Le premier galet est lancé, s'enfonce dans l'eau après quatre bonds. Je souris. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi facile. Je vais y aller pleine puissance. J'ajuste mes yeux, j'ajuste mon bras, l'angle de mon corps, je fixe l'eau et penche la tête sur le côté. Deuxième galet lancé. Celui-ci sombre après six ricochets. Si je parviens à la battre, j'aurai du fric fraichement gagné, que je n'aurai aucun scrupule à dépenser. C'est celui que je vole que j'enterre avec mes trésors. Mais seulement les pièces qui brillent. Je n'ai jamais aimé l'argent papier, parce qu'il manque d'éclat !

-Et l'dernier …

Je suis si étonné que j'en tombe de mon perchoir, direct sur cette pauvre Lexia. Sept ! J'en ai fait sept. J'éclate d'un rire joyeux, amusé et émerveillé de l'exploit que je viens de réussir. Je replace mes verres sur mon nez, qui sont un peu de travers, et essaie de m'extirper de l'entremêlement de bras et de jambes que nous formons. Ça me rappelle quand j'avais atterri sur Lan en cassant une branche. Lui, il n'avait pas trouvé ça drôle du tout.

-Hey Lex' ! Tu crois qu'j'ai ma place dans l'livre des r'cords ? Hein hein ? Dis ?!

Je sais que sur mon visage, présentement, luit le sourire caractéristique des enfants qui sont fers d'eux. Lan me dit que j'ai ce sourire quand je réussis à tourner en bourrique un de ses chiens. Il trouve ça adorable, il avoue.

listening to X Japan - Unfinished

Il rit quand je lui parlais de la clope, plutôt mignon, on aurait dit un rire de gosse adorable… Ah quand Lexia se prend à faire du sentimentalisme… Mais comme ces états d’âme ne me ressemblaient pas, j’ai vite reprit mes esprits et attendu qu’il commence à tirer ses pierres.
Je l’entends fouiller dans quelque chose – ses poches ? – et je me dis qu’il est en train de prendre ses galets. Quel bol qu’ils ne soient pas tombés ! C’aurait été pour ma pomme, et se faire lapider à coups de galets, même si c’est pas intentionnel, je ne pense pas que ce soit très agréable. Enfin bref, je me méfie et guette toute chute suspecte de caillou. Pourvu qu’il balance vite ses cailloux et que je ne m’en ramasse pas en pleine poire !

Etonnement, Lan réussit bien à lancer les galets, faudrait que je lui demande comment il fait à l’occasion. Je scrute les ricochets. Le premier fait quatre ricochets, je me suis dit à ce moment que j’allais pouvoir garder mon fric. Six… Ah, la tension montait déjà plus. Quand il a lancé qu’il envoyait le dernier, j’ai scruté le caillou.
Suspens.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept !

Il m’avait battue ! Pas mal ! Surtout la tête en l’air (dans le sens du terme ici^^) A peine ai-je eu le temps de voir le caillou s’enfoncer dans les eaux de la Seine que j’ai senti un gros truc me tomber dessus. Ca, ce n’était pas qu’un simple galet ! Lan m’était carrément tombé dessus et je devais m’être ramassé sa tête, un genou ou un coude dans le ventre, ce qui me coupa le souffle. J’ai grogné :

- Putain… Et moi qui flippais à l’idée de me recevoir des cailloux dans la tronche… On peut dire que j’ai gagné le gros lot… T’as pas loupé ton coup mon gars…

On a du avoir l’air bien cons tous les deux, là. Lui à sourire émerveillé, moi, pliée en deux, à souffler difficilement, car malgré le fait qu’il soit léger, essayer de vous prendre un gus en plein dans le ventre. Ce n’est pas vraiment la joie, je vous l’assure.
Bref on essayait de défaire le nœud humain qui venait de se former quand j’entendis quelques rires. J’ai levé la tête et ai vu deux ou trois mecs, qui puaient l’alcool au point que nous-mêmes les sentions. Ils se bidonnaient les abrutis ! J’entendis un rire :

- Ah les jeunes aujourd’hui quelle débauche ! C’est un lieu public !

A ces mots, j’ai tiqué. Non mais oh ! Fallait pas rêver quand même !!

- Eh oh les ancêtres ! Vous êtes jaloux où quoi ? Foutez le camp…

Suivit ensuite une insulte que je ne citerai pas pour ne pas blesser les oreilles innocentes. Bref, je leur ai hurlé quelque chose qui leur à fortement déplu et qui les a vexé (parfait, je n’en demandais pas plus). Ils nous ont regardé d’un œil mauvais puis se sont tirés. J’ai regardé Lan à côté de moi. Lex’ ? Mais c’était mon p’tit surnom à moi ça, celui que j’avais même que je m’appelais Alexandra… Les personnes qui m’appelaient comme ça étaient rares, dénombrées à zéro aujourd’hui… mais j’aimais bien. J’ai sourit quand il a demandé s’il avait sa place dans le livre des records. Un vrai gosse, pour un peu j’aurais eu envie de lui mettre la main dans les cheveux et de les lui ébouriffer, comme je le faisais avec Karen auparavant. Mais bien sur, j’l’ai pas fait. Il en était hors de question bon dieu ! Je n’étais pas sa mère.
On aurait dit un gosse qui venait de gagner une course où de trouver un gros scarabée brillant dans le jardin. Est-ce que j’étais comme ça moi ?
Humpfff…
Non, je n’avais pas les parents adaptés… Si je me comportais de la sorte, je n’ose même pas imaginer comment le paternel ou Ana auraient réagit. Et mon frère ? Oh, l’horreur que ça aurait été…
J’ai pensé à autre chose et ai lancé :

- Bon, c’est pas tout mais…

J’ai sorti le fric de mon porte-monnaie et le lui ai filé. Il le méritait ! J’ai réfléchit deux secondes et ai demandé :

- Alors, tu veux boire quoi ? Du jus d’orange en pack ou… quelque chose de carrément différent ?

Quelque chose de carrément différent : entendez par là alcool. Je m’étais gentiment foutu de sa gueule avec l’histoire des jus d’orange (je pouvais bien, il venait de me délester de 20 €), mais j’étais prête à lui payer ce qu’il voulait.
Un pari est un pari non ?

- Faudrait que tu m’explique comment t’a fait ça…

C'est sans m'arrêter de rire que j'ai observé l'altercation débile entre ces abrutis finis aux allures de pimps ratés et Lexia. Non mais, c'est vrai ! C'est quoi l'idée d'aller emmerder les gens qui s'amusent ? J'veux dire, si à notre âge on n'a plus le droit de s'amuser, je veux bien accepter l'idée de mourir demain matin, ce soir, même ! Avec Souny, vous avez pas idée du nombre de conneries débiles qu'on peut faire en une soirée, et tous ces gens qui nous regardent comme si on était des extra-terrestres ! C'est tout simplement eux qui ne savent plus s'amuser, qui s'enferment dans des normes et des inhibitions. C'est un comportement uniquement humain, de cacher ses pulsions et ses envies. Ce doit être pour cela que la plupart des hybrides que je connais son des fêtards, des fous de la danse et des quatre cent coups. De ceux que je connais, il n'y a que Raphael qui soit timide et réservé. C'est pas vraiment un pote, juste un type louche avec qui je traîne quand je n'ai rien de mieux à faire. C'est un hybride tortue et, avec son long manteau noir défraichi, il a l'air d'un jeune clodo bossu. Le truc étrange avec lui, c'est qu'il n'a pas de carapace, comme une tortue, mais que, chaque fois que je le voie, il a jeté son dévolu sur un objet différent, qu'il ne lâche plus du tout en disant "touche pas, ma carapace, ma carapace, à moi". C'est le genre de type avec qui on se tient seulement quand on est ben stone. Je devine que ces petits rapaces qui viennent de partir s'en donneraient à cœur joie s'ils pouvaient tomber sur Raphael.

Lexia et moi on se démêle les pattes en vitesse, pour finalement se relever. Je m'étire, sautille un peu sur place pour remettre tous mes muscles en état. C'est une adaptation de passer de perché à debout, en passant par "étalé de tout son long sur le sol dans une position pas franchement confo". La jeune femme fouille dans ses affaires et me tend vingt euros, que je prends. Je suis content qu'elle me les donne papier, parce que j'aurais regretté de devoir dépenser un truc brillant. Je sais, vous allez me dire "ça brille, mets-le dans un trou" mais non ! Ce que j'enterre, c'est que je prends, ce que je vole. Ce sont des trésors. Si on me le donne, ça ne compte pas. Anyway, elle m'a donné un billet, alors ça le fait.

-Alors, tu veux boire quoi ? Du jus d’orange en pack ou… quelque chose de carrément différent ?

Je lui tire la langue comme un gosse, en riant. Oui, bien sûr … voir que j'aurais fait autant d'effort juste pour du jus d'orange. C'est tout moi ça. Non, quand je me bats pour un truc, j'essaie au moins que ce soit un truc qui en vaille la peine. Dans ce cas-ci, un bon pichet d'alcool. Quel qu'il soit, cela ne me fera pas de tort. Lan m'ennuie, j'ai plus de nouvelles de Souny depuis un moment, j'm'ennuie ferme … De l'alcool, c'est ce qu'il me faut. Oh je ne suis pas un alcoolique, mais ça va me rappeler mes virages de brosse avec ma meilleure pote, qui possède le vrai titre de fausse maman adoptive, quand on déconnait comme des vaches. Comment ça vous doutez que les vaches déconnent ? Rien qu'à regarder dans les écoles : je suis prêt à mettre la tête de Lan à couper que ce sont toutes des hybrides bovines, et tous les crétins de garçons méchants sont des bovinophiles ! J'éclate de rire tout seul, comme un con. Ça fait toujours du bien de rire pour rien.

-Faudrait que tu m’explique comment t’a fait ça…

-L'truc des galets ? je dis en penchant la tête sur mon épaule droite. Bah c'est tout simple … J'grimpe aux arbres d'puis qu'j'suis gosse, j'ai un bon équilibre, une bonne balance … c'comme si j'vivais la tête en bas d'puis ma naissance.

Je ris encore, toujours de bonne humeur, surtout après une victoire. J'ai bien besoin de gagner quelques trucs ces temps-ci, parce que sinon, tout me mine. Juste hier, j'ai gagné une joute verbale contre Lan ! Bon, je suis parti par la fenêtre pour avoir le dernier mot, mais je l'ai quand même eu.

-Faudrait éviter les bars, je dis. Y a personne qui m'laisse rentrer nulle part. C't'à peine si j'peux m'acheter du jus d'orange sans adulte accompagnateur, j'ajoute pour rigoler en faisant un clin d'œil qu'elle ne voit pas à cause de mes lunettes.

Je réfléchis un moment, puis propose.

-Faut qu't'ailles au dépanneur – sans moi parce qu'ils te laisseront pas acheter si j'suis avec toi – et qu'tu nous sortes une bouteille de ….

Je passe en revue tous les alcools forts que j'apprécie.

-De rhum !

listening to Depece Mode - Black Celebration

Au moins Lan n’est pas du genre à se formaliser quand des gens s’engueulent, la preuve, il se marrait pendant que j’insultais ces vieillards blasés et sûrement jaloux de voir des gens s’amuser et pas eux. A quel point leur vie est-elle chiante ? On se le demande. Ils vont sûrement rentrer chez eux, bourrés. Se faire engueuler par leurs femmes respectives, gueuler un bon coup que c’est eux les hommes de la maison et qu’ils vont pas se faire mater par une mégère. Je connais ça pour avoir un père un peu trop violent quand il rentrait bourré. Même avec la p’tite russe, pas de quartier !
Décidément, ce type ne s’inquiète de pas grand-chose (s’inquiète-t-il simplement pour quelque chose ?). Ca me fait marrer de le voir tirer la langue, jouer le jeu avec humour et sans jamais en faire trop.
Puis il se met à réfléchir au sujet de ce qu’il veut boire… Faussement inquiète, je pose ma main sur mon front, rit d’un rire inquiet (par humour bien sur).

- Mon dieu, qu’est ce que tu vas me demander toi ?

Puis il répond à ma question. Bah tant pis, j’ai plus passé mon enfance dans ma chambre ou dans des chambres anonymes avec des piqûres que dans les arbres à faire des ricochets… Je ne dois pas être faite pour ça… Bon, je m’en fous, j’arrive à faire autre chose que des ricochets pendue la tête en bas !
Décidément ce type à l’humour facile, ça fait plaisir à voir. Les gens qui se marrent, sourient et affichent leur bonne humeur sans avoir l’impression de passer pour des marginales. Alors voir Lan se marrer pour un tout, pour un rien, franchement ça fait sourire.
Il revient ensuite au sujet de l’alcool. Bah dis donc, il y tient… Il ne serait pas un peu alcoolique sur les bords ? Noooon, je plaisante, il en donne pas réellement l’impression. Un vrai alcoolo aurait déjà bondit pour aller dans un bar où on sert les meilleurs alcools alors que môssieur réfléchissait.

Il me faisait marrer avec sa logique. Vachement logique et futé, le gars ! Il ironise un peu, au début, puis laisse un silence passer. Finalement, il annonce qu’il faut que j’aille au dépanneur, sans lui.
C’est l’alcool qu’il souhaite qui me fait légèrement sursauter. Du rhum ? Bah dis donc, c’est pas commun ça ! J’en connais des qui veulent du whisky, vodka ou des autres trucs, mais alors du rhum…
C’est bon pour les pirates ce genre d’alcools, il se prend pour Jack Sparrow ou quoi ? Non, c’est bon, je blague…

- Bah dis donc, j’avoue que ça m’étonne un peu… Mais t’as gagné, je te paie ce que tu veux… Il est où ce dépanneur histoire que tu obtiennes ta bouteille ?

En général, je n’ai pas vraiment de peine à me procurer de l’alcool. Au premier coup d’œil, avec ma tronche de junkie, les gars qui vendent l’alcool en toute illégalité (en toute légalité aussi, remarque faite) se disent que je suis le pigeon parfait à plumer. Alors ils jouent les gentils, augmentent les prix, sont prêts à me donner tout ce que je veux acheter. Tout est bon pour rendre les clients accros.
Je me lève finalement, prend mon sac et enlève un peu de poussière qui tombe du haut du petit pont qui traverse la Seine.

- Alors, on va se fournir où ? Tu me montres le chemin ?

Un petit coup d’œil dans mon sac pour voir si j’ai bien mon porte-monnaie, histoire de pouvoir payer. Ouais, il est là, avec les gros billets que je vais dépenser en alcool pour finir la soirée en beauté. Si je n’ai pas assez avec cette simple bouteille, je sais toujours où trouver tout l’alcool que je souhaite… Je ne vais pas m’ennuyer ce soir ! Et dire que demain je bosse… Je vais avoir une belle tête à mes cours ! Je vois déjà le topo : lunettes de soleil, gueule de bois à en mourir de rire (pour les autres), la fatigue, le moindre bruit qui m’explose les oreilles… Ca va pas être beau à voir…
Je commence à monter les quelques marches qui mènent à une petite rue quand je trébuche. Merde, une pierre. En plus ça fait mal au pied. Je grommelle et me redresse. Je me retourne un instant vers Lan et voit ses lunettes. Je repense à la pierre.

- T’es sur que t’arrives à y voir quelques choses avec tes lunettes ? C’est stylé, ça te va bien, j’avoue, mais tu vas te chier dans les marches si tu ne vois rien… M’enfin… ce que j’en dis…

Je me tais et continue tranquillement à monter les marches puis attend Lan.

Le rhum, ça l'étonne ? Je hausse un sourcil par-dessous mes grosses lunettes sombres. Et pourtant, c'est l'alcool avec lequel on m'a initié à la beuverie. C'était Souny qui l'avait chapardé dans la réserve perso de son paternel. C'était le premier truc qui lui était tombé sous la patte et elle l'avait pris sans trop regarder. On s'est tapé la bouteille sans trop faire gaffe. La cuite qu'on s'est prise ! Tous les deux c'était notre première avec de l'alcool dans le nez alors du rhum, bu très rapidement et en assez grande quantité, le tout dans le corps de deux gosses immatures … c'est pas vraiment très joli à voir. Encore aujourd'hui, je n'ai aucune résistance à l'alcool. Et surtout au rhum. Mais c'est ce que je préfère. C'est bon, fort, et ça fait marin. Dieu seul sait pourquoi le fait que ça fasse "marin" est pour moi un facteur d'appréciation des alcools, parce qu'en fait, je déteste les bateaux… Ça et tout ce qui nous transporte qui n'est pas une paire de jambes. J'ai une trouille bleue de tout ce qui est monté sur roues, et surtout de ces maudits autobus où l'on est pressés comme des sardines en boîte et où on ne sait jamais si on va en sortir vivant, ou mort ! Je déteste ces appareils, tout comme les voitures et les trains, les avions et les bicyclettes ! Mais surtout les autobus où, à chaque arrêt, je tire sur la corde en espérant que le prochain soit le mien. À mon grand désarroi, ce n'est pas souvent le celui où je dois descendre, me fait à coup sûr remarquer Souny, la seule à me forcer à embarquer dans ces trucs.

Lexia se lève, et je m'empresse de l'imiter, bondissant sur mes pieds avec l'agilité qui m'est coutumière. Je la regarde ramasser ses affaires, puis me demander de lui montrer le chemin. Je lui explique rapidement que c'est plus une société des alcools qu'un dépanneur, puisque dans ces endroits on ne vend que de la bière et des bouteilles de vin bon marché. Jamais on ne trouverait du rhum de bonne qualité dans une supérette de coin de rue ! Nous nous mettons en route et, même si c'est moi qui dois montrer le chemin, je me montre galant et la laisse passer derrière moi. De toutes façons, dans un dédale de rues comme cet endroit, on n'a qu'à dire, tourne à gauche, prends à droite, et c'est facile de suivre. Et puis quand c'est assez large, je n'ai qu'à marcher à côté d'elle. À peine quelques marches montées qu'elle trébuche et se tourne vers moi.

-T’es sur que t’arrives à y voir quelques choses avec tes lunettes ? C’est stylé, ça te va bien, j’avoue, mais tu vas te chier dans les marches si tu ne vois rien… M’enfin… ce que j’en dis…

Je souris, mais fais signe que non en souriant. C'est très gentil de s'inquiéter pour moi et pour les fouilles que je pourrais me prendre mais si j'ai à me planter quelque part, ce ne sera pas à cause de la noirceur mais bien parce que je suis maladroit.

-T'inquiète, je dis. J'vois super bien dans l'noir : les lunettes changent rien à ça.

Je lui fais signe de continuer à avancer et, une fois les marches montées, je me glisse à côté d'elle, à sa hauteur. Je trottine plus que je ne marche, comme toujours, fidèle à mes habitudes de jeune raton jovial. Puis, je m'esclaffe, amusé par ce qu'elle a dit.

-Ah ouais ? J'ai du style ? J'suppose que c'est un style plus mignon que canon, hein ? je fais, moitié abattu moitié plaisantin.

C'est vrai quoi ! Jamais personne ne va dire au chibi Dydy qu'il est sexy, bavant à en tomber par terre. Nah. Pour le monde entier, j'suis qu'un gosse, trop jeune pour être qualifié de beau. Tout ce qui me va, c'est mignon, craquant, cute, adorable…Soudainement je m'arrête, pointant du doigt une enseigne.

-C'est là, je fais.

Je n'irai pas plus loin : je me suis déjà fait chasser à coups de pieds de cet endroit par le propriétaire, qui ne voulait pas se retrouver avec une amande à payer à cause d'une vente d'alcool à un mineur. Des ennuis faciles à éviter, qu'il disait.

listening to Theatre of Tragedy - A distance there is

Il affirme qu'il voit super bien avec ses lunettes... Bon bah... si ça lui plait comme ça. Je sais que je finirais par terre en moins de deux si par hasard l'envie de mettre des lunettes noires sur le nez me prenaient. Nan, mauvaise idée. Puis il se marre, se fout carrement de ma gueule quand à son "style". Drôle de question qui suit... style plus mignon que canon ? Hummm... peut-êrte. Je garde un léger sourire sur les lèvres tandis que je réfléchis. Bon, alors que vais-je dire ? Mentir et lui faire plaisir ? Bah, mittoner à tout va, franchement c'est pas ma tasse de thé. J'avance un peu, respire, sors une clope, l'allume et tire une bouffée. Après avoir regardé les jolis dessins esquissés par la fumée dans le ciel, je regarde Lan en souriant.

- Franchement, t'es plus mignon que canon. Voilà. T'aurais préféré que je dise le contraire ?

Perso, je trouve que c'est bien d'être mignon. Mieux que canon quand les autres te reluquent, mieux que de traîner et se dire qu'on peut se faire mater par n'importe quel mec qui se baladerait dans le coin. Etre mignon, c'est... cool. Enfin, je dis ça mais j'en sais rien. Je lui poserais la question. Un autre jour.
Il me surprend légèrement en s'arrêtant et pointe quelque chose du doigt. Ah, on est arrivés. Une enseigne, la vitrine allumée, un gros mec fumant derrière le comptoir. Je jette un coup d'oeil à Lan, il avance pas. Okay, c'est à moi d'entrer en piste. Parfait. Je lui dis que je reviens, comme quoi ca va pas durer. Et hop, cliente parfaite pour les dealers et les vendeurs d'alcools, je rentre dans le magasin, regarde un peu les bouteilles, cherche du rhum. Quelle idée de boire du rhum... C'est pour les vieux, enfin.. c'est l'idée que j'en ai. Le paternel avait l'habitude de se servir un bon verre de rhum quand il rentrait après le boulot, il buvait et j'avais l'impression de le voir vieillir sous mes yeux. Paf, le rhum m'est devenu un alcool pour vieux. Sûrement a cause de ce souvenir du paternel qui en buvait que j'évite d'y gouter. Allez, ce soir, je me prends une bonne bouteille et je fais comme lui.
Je regarde les rayons, cherche un truc intéressant. Ahaaaa, une bonne bouteille, celle-ci. Mon père en avait une du genre et la chérissait comme son enfant. Je suppose que c'est du bon.
Allez hop je prends la bouteille, va vers le comptoir, prends un paquet de chewing-gum au passage, et un Twix. Paf, on m'annonce le prix, je débourse, je débourse et ressort avec la bouteille à la main.
Parfait, pas d'embrouille, pas de souci.
J'avance de quelques pas, m'éloigne. Pas question que le vendeur me voie avec Lan, sinon on pourrait avoir des ennuis, enfin... ça c'est si il cherche la merde. Je m'éloigne de quelques mètres, Lan derrière et moi et sors la bouteille du sac plastique.

- Ca te va ça ? D'après mes souvenirs, c'est du bon.

Je rebrousse chemin pour retourner où on était avant. C'est un petit coin sympa, idéal pour une bonne cuite. Je me rassied par terre, tranquille, les fesses dans la poussière et re-balance un galet dans l'eau. Quand même, je vais essayer de voir si j'aurais pu gagner le pari. Et paf. L'ancien record battu. Mouais, j'aurais pu gagner. Et tant pis, j'ai perdu. Bon, on se sera marré quand même.
J'enlève le bouchon de la bouteille et la tend à Lan.

- Tiens. T'as gagné alors je suppose que c'est à toi de commencer.

Je lui passe la bouteille et serre mes doits sous mon pull. Il commençait à faire frais.

Elle me fait bien rire cette jeune femme. Normalement, une personne polie irait dire “d’accord d’accord, pas mignon, si c’est ce que tu veux”. Mais elle non. Elle me dit carrément que je suis mignon et pas canon. Mais bon c’est pas plus mal, je sais déjà à quoi je suis voué : me faire carter jusqu’à mes trente ans, si je vis jusque là. Chose bien peu probable. JE me suis renseigné sur la longévité des ratons laveur. Ça dépasse rarement 25 ans. Je me suis toujours demandé si j’allais hérité de la longévité d’un humain ou d’un raton. Mais avec le temps, il y a quelque chose qu’on finit par détecter en soi : je sais que je ne vivrai pas vieux. Au début ça me rendait malade, quand je l’ai compris, mais maintenant, j’ai fait mon deuil. J’ai accepté le fait que j’allais mourir avant tout le monde et si je devais finalement vivre, ce serait un autre deuil à passer : pour un deuil inutile cette fois.

JE la regarde s’éloigner toute seule en direction de la petite succursale, prenant bien soin de ne pas trop me rendre visible de la fenêtre qui est derrière le comptoir. Le tenancier me connaît : il m’a choppé plusieurs fois à envoyer des jeunes adultes acheter pour moi. Il refuserait aussitôt de laisser la bouteille à Lexia. Je m’adosse à un arbre : on distingue encore la Seine ici, mais on sent moins son odeur. Ici, je sens les poubelles des établissements alimentaires qui pullulent autour de moi. Vous ai-je déjà parlé de mon amour des poubelles ? Ce n’est pas un amour à proprement parler : c’est une façon de voir les choses, en fait. JE les aime pour toutes les trouvailles que peut y faire un estomac affamé s’il a le courage d’y aller pour fouiller. Je suis courageux. Puant, mais courageux. Mais depuis que je vis chez Lan, j’ai le ventre bien rempli, je n’ai plus besoin de me lancer à toute vitesse vers la première poubelle que je vois. Et encore, ce n’est jamais choisi au hasard, il faut savoir à l’avance ce qu’on risque de trouver dans l’un ou l’autre des containers. Toutefois, même si je ne meurs plus de faim, je peux très bien avoir le réflexe de chaparder quelques aliments au passage. Lan, ça le rend fou et il me lance dans la douche avec mes vêtements, affirmant que je ne risque pas de mettre un orteil dans son lit avec cette puanteur terrible. Moi je ne trouve pas que cela sente si mauvais : je suppose que je me suis habitué à ces émanations toxiques...

Lexia revient, une bouteille à la main. Mes lèvres s’élargissent, car c’est exactement ce que je voulais. Du rhum. Peu importe la sorte. Du rhum c’est toujours bon. Sauf une fois où j’ai fais “berk” en le buvant. Mais c’était parce que j’avais bu trop de trucs juste avant et que tous les goûts s’étaient mélangés dans ma bouche. Mauvais... Je prends la bouteille, tente d’enlever le bouchon avec mes doigts. Mais il tient trop bien. Patient, j’approche le goulot de mes petites dents pointues pour mordre carrément dedans. Un humain risquerais de se briser les dents : les miennes sont solides. Et puis elles ont l’habitude. Mes petites mains tournent habilement la bouteille alors que le goulot, lui, reste totalement immobile. En prenant une gorgée, je lui dis :

-J’espère que ça t’embête pas que j’aie bavé d’ssus.

Le tout dit avec un petit sourire. Tout à fait absurde en fait parce que de toute façon, on allait tous les deux boire dans cette bouteille, sans verres à notre portée. Je lui tends la bouteille et m’essuie le rebord de la bouche avec ma manche.

-Tu sais quoi ? je demande en me grattant la jambe.

En fait, c’est ma queue de raton que je gratte, mais ça, à travers mes jeans trop grands, on ne peut pas le savoir.

-J’t’aime bien.

Bon j’sais, c’est pas dur de s’gagner mon affection. Une petite gratouille derrière les oreilles et le tour est joué.

-Mais j’devrai pas tarder. Lan va pas tarder à se réveiller ... Et j’veux pas qu’il s’fâche parce que je suis pas là.

listening to Maroon 5 - She will be Loved