Je suis un être plein de contradictions. J'aime mes cinq heures de sommeil quotidiennes, mais je n'aime pas me réveiller ou me coucher. Je n'aime pas la chaleur accablante, mais il fait aussi toujours trop froid. J'ai mon travail, mais il me tue à petit feu. Je déteste me faire à manger, mais je déteste aussi bien manger au restaurant… Je regarde autour de moi tous ces gens qui mangent comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Je me sens amer aujourd'hui, je ne me sens le goût pour rien d'autre que pour une bonne chasse. Mais il n'y a rien à l'horizon. Pas de vampires, pas d'hybrides, pas de saloperie ailée. Les gens qui mangent ici ne se doutent probablement même pas qu'autour d'eux règne une activité démoniaque extrêmement forte. Paris… Tu étais si tranquille autrefois. Quelques émeutes par ci par là, quelques meurtres… Pas tous ces corps disparus, ses assassinats sanglants et…
-Vous êtes prêt à commander ? m'interrompt un serveur en livrée noir.
Je fais signe que non. Ai-je seulement regardé le menu depuis que je suis ici ? Bien sûr que non. J'étais beaucoup trop occupé à plaindre… envier… plaindre ou envier ? Peu importe… J'observais la naïve tranquillité des autres clients. Je lève les yeux, souhaitant les fixer sur autre chose. Ce lustre trop ornementé fera l'affaire. Parfois je me demande pourquoi je mène cette vie. N'aurais-je pas pu vivre une petite vie banale comme les autres ? Une vie aveugle mais heureuse ? La petite voix du chasseur résonne dans ma tête. Bien sûr, une vie heureuse, une vie aveugle qui ne te laisserait pas voir venir les crocs que l'on t'enfoncerait dans la gorge.
-…
Je passe la main sur ma nuque, baissant maintenant les yeux sur le menu toujours fermé. Ce lustre ne faisait finalement pas l'affaire. Je ne sais pas quoi manger. Trop de choix. Et je suis parti de la maison parce qu'il n'y en avait pas assez justement. Arrête de te plaindre Diego, ça ne t'avancera à rien. Et puis personne n'est là pour t'entendre. Cette fois c'est sur la chaise vide de l'autre côté de la table qui attire mon regard. Pourquoi suis-je seul ? J'aurais bien aimé qu'une charmante dame au décolleté plongeant soit devant moi, sur cette chaise. Elle aurait commandé et, d'un air décidé, j'aurais dit "je vais prendre la même chose". Mais pas de dame.
-Vous prendrez ? me dit le serveur qui est revenu dès qu'il m'a vu reposer le menu, quand bien même je ne l'avais pas ouvert.
-Une femme, je dis sans le regarder.
Le serveur rit, et me dit que justement il y a une jeune dame non accompagnée à une autre table.
-Je lui propose de se joindre à vous ? demande-t-il.
-Faites donc…
Moi qui croyais être seul à venir seul au restaurant…