Sortir de son taudis (Sophie)

J’ai envi de sortir aujourd’hui. Mon cerveau a cruellement besoin d’air et comme il s’agit que c’est très précisément cet organe qui commande (fort heureusement, sinon, quelle catastrophe se serait), je dois l’obéir. Je me noie dans le fouillis de ma chambre, cherchant désespérément quelque chose de convenable à mettre publiquement (bref, qui sent pas trop). Déjà vêtu d’un T-shirt gris, je trouve, avec une satisfaction victorieuse, un pantalon propre. Ça me fait penser que je devrais bientôt aller à la laverie du coin, je vais y aller dès demain si j’y pense. Mais, je m’égards…Revenons à mon pantalon propre…Victoire! Je le mets dès cette seconde, je vous passe les détails pour ce coup là…Puis, je mets ma fidèle veste… Bon, maintenant retournons au fait que je vais prendre l’air…

Après réflexion, je décide de faire un tour au MontParnasse . Je n’y vais pas souvent (voir qu’est-ce que j’irais y faire là), mais ils ont de bons cafés et je crois pouvoir facilement me permettre d’aller en prendre un au lieu d’être cloué à ma chaise de travail. Bon, je dois quand même faire un article au plus tôt, mais changer d'espace me ferait le plus grand bien. Je me dirige vers ma table de travail et je range mon carnet et un crayon parresseusement dans la poche de ma veste. Courage Thomas...Courage. Bon, direction MontParnasse.

Je prends bien soin de ne pas me perdre dans mes pensées pour éviter de me retrouver en Alaska accidentellement au lieu de ma destination...(Oui, ça arrive). Quoi que, me retrouver par m'égarde ailleurs ne serait pas bien grave...

Une fois arrivé, j’entre dans le premier café que je vois que je considère dans mes moyens du moment. Une grande fenêtre, endroit bien éclairé, ça paraît toujours chaleureux un si beau matin de soleil. Endroit assez tranquille…Assez classe (quoi que tout est classe comparé à chez moi). Je me prends un café bien noir et bien amer comme je les aime, bien simple et pas trop cher, rien de mieux pour commencer la journée. J’hésite un moment à prendre un croissant, que je ne prends pas finalement, me rappelant que je n’ai jamais faim à cette heure…Je m’assis à une table près de la fenêtre, profitant de la petite vue sur la rue.

J'observe un moment autour de moi, la tête ailleurs, puis me dit que il serait temps que je commence.

Je sors mon carnet et un crayon au bout de quelques minutes…Dans mon petit calepin bleu, j ‘y ai mis toutes mes notes pour mon prochain article. Encore une de ces histoires d’hybride. Les gens en raffolent dit mon patron. C’est pour cette raison qu’on en écrit et c’est pour écrire que je suis (sous)payé. Cette fois, on aurait vu à plusieurs reprises cette semaine 3 de ces monstres en plein centre de Paris. L’un d’eux a été attrapé. Les deux autres, on ne sait pas du tout où il se trouve mais la police affirme « avoir la situation bien en main ». Les déclarations habituelles. Dire que mon travail c’est ça. Écrire ce genre de cochonnerie. Je clarifie tout ça à coup de crayon, ajoutant des phrases et ce genre de chose, redoutant comme à mon habitude le moment où je devrais donner une forme à tout ça…La douce odeur de café juste sous mon nez me redonne le courage de continuer…Finalement, peu importe l’environnement, mon travail me prend toujours dans le dos…J’aimerais bien dire que j’ai besoin de vacances, mais je ne peux pas me le permettre…Et mon patron ne me le permettrait encore moins d’ailleurs.

Comme à mon habitude, sans le savoir, je me mets à « marmonner mon travail » et mes réflexions. Il est strictement impossible de comprendre ce que je dis. Je ne crois pas déranger réellement personne sauf les gens à ma proximité, d’ailleurs je crois qu’il n’y en à pas. Je ne prends pas la peine de lever les yeux pour vérifier…

Ce qu'il peut me gonfler cet homme. Patron ou pas patron, je refuse d'accepter sa proposition. Vous m'imaginez ? Moi ? Aller travailler dans une boîte aux Etats-Unis ? Ils m'offrent un gros prix – et à vous aussi – si j'accepte de vous laisser filer. Sophie, songez-y un instant ! Votre salaire déjà gargantuesque en serait doublé ! Doublé ! Et alors ? Qu'est-ce que ça peut bien me faire à moi ? Je suis bien ici, à Paris. J'ai mon travail, ma famille… Je suis près de ma fille autant qu'il m'est possible de l'être. Partir signifierait tout abandonner, et ce serait trop facile.

J'entre dans un petit café de la rue, fort simple, le téléphone sur l'oreille, la mallette dans l'autre. J'avance d'un pas rapide et décidé, mes talons marquant mon allure dans un rythme de percussions incessant. Si je n'étais pas trop occupée à me prendre la tête pour ce contrat que je ne peux accepter, j'y porterais un peu plus attention. Je fais un peu déplacé parmi ces gens, tous venus ici pour déjeuner. Je porte un ensemble chic pour l'audience que je dois assister aujourd'hui. Mon client, soupçonné d'être porteur du gêne hybride. Fables et inventions. Cet homme n'est pas plus hybride que moi. Pas besoin de lui faire risquer la peine de mort pour les fabulations d'un voisin qui ne l'aimait pas beaucoup. Je ne suis là que pour mon café quotidien, la terrasse où je me pose habituellement étant fermée pour rénovations. Je suis d'une humeur massacrante et rien n'y changera quoi que ce soit. Une avocate en colère, c'est un requin affamé, comme le dit mon mari.

-Écoutez-moi bien Sophie ! Je veux cette association avec les Amériques. Vous êtes la condition. Si vous n'acceptez pas…
-L'association n'aura pas lieu, tout simplement.

Je coule un regard vers un homme assit à une table en train d'écrire. Quelques clients me bloquent le chemin pour je ne sais quelle raison et me voilà debout à poireauter, à essayer de me frayer un chemin dans la masse alors que j'essaie aussi de faire oublier sa proposition sotte à mon patron.

-Sophie ! Quand je vous ai engagée, vous avez affirmé être prête à toutes les concessions pour votre travail ! Vous vous en souvenez ?
-Objection votre honneur ! J'ai dit que je ferais toutes les concessions qui seraient à la limite du raisonnable.
-Mais je…
-Quitter le pays ne me semble pas une décision qui se prenne à la légère, à la simple demande d'un inconnu qui veut simplement s'enrichir avec un bon avocat. Si vous me perdez, c'est la boîte au complet qui tombe, qui s'écroule. Choisissez le terme qui vous plaira le plus.

Je l'entends marmonner à l'autre bout du fil alors que je réussis à bouger un peu. C'est là que quelqu'un me donne un coup de coude dans les côtes et que ma mallette pleine de documents d'une importance capitale s'ouvre et tombe sur la table de l'homme au carnet.

-Je vous en prie So…
-MERDE ! Je vous rappelle, je dis dans le téléphone en me retournant pour invectiver le coupable de belle manière. Vous vous rendez compte de ce que vous venez de faire ? Ça, cette feuille qui trempe dans le café de monsieur l'écrivain, qui comme moi n'a rien fait pour s'attirer votre maladresse… ÇA ! C'est… C'était … L'innocence d'un homme ... et le travail de toute une nuit !

L'homme s'éloigne alors que je continue à crier sur lui, glissant son regard un peu partout pour trouver du soutien. Lasse, je me laisse tomber sur la chaise en face de l'écrivain, me penchant sous la table pour ramasser tout mes papiers.

Ça ne prend que quelques minutes pour que je me retrouve hardiment absorbé à ma tâche. Je n’entends même pas la « Dame au portable » (ça sonne presque comme un titre de « suspence » ça…si j’étais conscient de penser une telle chose, je le noterais…Mais, là, il n’y a que le travail) piailler. Avec qui? À quel sujet? Je ne sais pas. Ma concentration n’est même pas en péril. C’est ça qui est étrange quand j’écris, même si c’est un sujet aussi banal que celui du moment, je deviens complètement imperméable à tout son. Si on ferait une mise en scène imaginaire de mon état d’esprit en ce moment, on verrait un de ses tout petits personnages de dessins animés au bord de mon oreille en train de foutre des baffes à des « blablabla » volant. Quoi? Oui, je sais, je m’égards une nouvelle fois…C’est pour cette raison d’ailleurs que les gens évitent de me parler…

Retournons à mon travail. Je relis lentement mes notes en les marmonnant… « Première audience aujourd’hui… ». Ah, oui? Fort bien, à souligner…Je poursuis jusqu’à ce que… Mon écriture fut sauvagement interrompu par… « Une mallette tombant et s’ouvrant violemment sur ma table déversant un flot de papier et renversant malheureusement mon café »…Non!!!!!! Pas lui! Pourquoi? Monde cruel. Bon, il était déjà bien entamé alors… Je retire mon carnet de la table en premier réflexe et j’essuie rapidement ce qui c’est renversé.

Je lève un regard perdu vers une femme en en tailleur (très jolie tailleur ma foi) bouillonnant de colère. Faut dire qu’il y a deux secondes, j’avais presque oublier où je me trouvais. Me faire sortir de ma focalisation à coup de café renversé et de paroles au ton rageur, ça de quoi dépasser mon cerveau. Mais, elle n’est pas en colère contre moi, plutôt contre un homme qui, vu sa tête, à envi de se faire tout petit.

Vous vous rendez compte de ce que vous venez de faire ? Ça, cette feuille qui trempe dans le café de monsieur l'écrivain, qui comme moi n'a rien fait pour s'attirer votre maladresse… ÇA ! C'est… C'était … L'innocence d'un homme ... et le travail de toute une nuit !

J’avoue qu’à sa place…Moi aussi j’aurais envi de me faire tout petit. « La Dame au portable » s’assit devant moi et ramasse ses papiers.

Mauvais matin? Ça arrive… Dis-je d’une vois que j’essaie de faire sympathique bien que je ne suis pas très à l’aise avec la colère qu’elle a piqué…Je me penche pour ramasser un de ses papiers près de moi…Quand je me lève, je replace mes lunettes avec mon index…Je lui tend se qui lui appartient…Elle le reprend, mais avec mon habitude de curieux, j’ai le temps de lire quelques mots…Pas grave…Elle n’a pas dû me voir. Je lui souris…Un peu gêné.

-Mauvais matin? Ça arrive… dit une voix devant moi.

Je relève la tête, me demandant bêtement qui vient de parler, et mieux encore, si cette personne s'adresse bien à moi. La tête à peine plus haute que la table, je regarde en face, les bras toujours occupés à ramasser les documents éparpillés. Tiens, tiens, c'est monsieur l'écrivain, et il semble bien que ce soit à moi qu'il parle. Je souris d'une manière plus sèche que je ne l'aurais voulu. Disons que ma main tirait sur tout mon corps pour aller chercher quelque chose sous la table. Je grimace en déposant le tout sur la surface lisse, là où normalement je poserais une assiette. Je ne regarde mon interlocuteur, je suis trop affairée à essayer d'enlever les miettes de la feuille qu'il me tend.

-À qui le dîtes-vous, je souffle en posant ma mallette ouverte sur la banquette, prête à recevoir ce que je lui donnerai à manger. Ça ne vous ennuie pas trop si je m'installe à votre table ?

Il n'a pas intérêt à me dire oui, parce que je suis d'une humeur massacrante. Je me sentirais capable de lui faire un vrai plaidoyer sur le fait que ce banc est accessible à tout le monde et que si je veux m'y asseoir j'en ai tout à fait le droit. Heureusement pour lui, il hoche la tête en signe d'assentiment et je me sens déjà mieux. Ça fait au moins une personne qui ne se met pas en travers de mon chemin aujourd'hui. Je n'ai qu'à repenser à Félix qui squattait la salle de bain. J'en ai qu'pour un moment maman ! Faut que je m'rase! … Ce gamin est incorrigible. Malgré sa puberté atteinte depuis très longtemps, il a à peine un petit duvet sur le menton. Nul besoin de se raser et de me faire patienter de l'autre côté de la porte. Je soupire et reporte mon attention sur l'homme devant moi. Allure simplette, lunettes en fond de bouteille… Excentrique à sa manière. Je souris. Tout le contraire de ma famille… Enfin, une partie de la famille.

-Sophie du Rocher, je lance officieusement en tendant ma main en travers de la table.

Je ne suis pas hautaine, loin de là. Seulement, dans mon métier, on fait tout en grand, il faut toujours énumérer nos titres et sortir la grande vaisselle. C'est pourquoi j'ajoute…

-Avocate du tonnerre, maman trop occupée, femme frustrée... enfin, pas frustrée dans le sens qu'on pourrait croire.

Je souris poliment avant de faire signe à une serveuse de venir vers nous.

Ça ne vous ennuie pas trop si je m'installe à votre table ?

Je hoche la tête. Elle peut bien s’asseoir. De toute manière, vu la tête qu’elle fait je n’ai pas vraiment envi de m’obstiner avec elle ou de me faire agresser à coup de malette. Ça serait un mal inutile (car je m’y connais en coup de malette et c’est pas super agréable) puisque de toute manière, sa présence ne me dérange aucunement.

Je la regarde un moment, sans avoir vraiment l’air de la dévisager. Mon instinct masculin fort développé me fait signe qu’elle est quelque peu stressé et énervé…Non, sans blague? Un café et tout ira mieux…Mais, elle a l’air de se détendre un peu. Elle me sourit et je lui rends son sourire. J’avoue que malgré un certain malaise, ce genre de situation m’amuse beaucoup. En tout cas, ça m’amuse quand ce n’est pas moi l’énervé qui tombe sur les tables en criant après tout le monde…Dans ce cas là, c’est toujours moins agréable.

-Sophie du Rocher, dit-elle en me tendant la main que je serre poliment.

Sophie du Rocher, Sophie…Du Rocher…Ça me dit vaguement quelque chose…Mais quoi? Est-ce que la connais? Non puisqu’elle se présente, elle ne me connaît pas et son visage ne me dit que trop rien. Aller savoir où j’aurais rencontré cette dame vêtue d’un tailleur de toute façon…

Elle continue sa jolie présentation…

-Avocate du tonnerre, maman trop occupée, femme frustrée... enfin, pas frustrée dans le sens qu'on pourrait croire.

Avocate, oui…Avocate…Avocate! Bien sûre…Ce n’est pas elle qui s’occupe de l’hybride qui a été attrapé? Le hasard fait bien les choses…Je pourrais peut-être lui poser quelques questions si j’ai de la chance car là, je n’ai que l’avis des autorités.

-Thomas Cohen, journaliste…N’ayant aucune famille dans les jambes et n’étant pas victime de frustration…

Je marque une pause…Et lui sourit…

Vous êtres l’avocate de l’hybride que la police à attrapé cette semaine, je me trompe?

La serveuse arrive et je me commande un autre café…

Pendant un moment, il me regarde avec l'air d'essayer de se souvenir de quelque chose, ou alors de s'être souvenu de ce même quelque chose. J'attends qu'il cesse de me regarder de la sorte, guettant la serveuse du coin de l'œil en même temps. Il se présente, gentilhomme, ayant eu le soin et l'humour suffisant pour reprendre ma jolie tournure de présentation. Je lui souris en même temps que lui, heureuse d'avoir enfin trouvé quelqu'un qui ne m'arrachera probablement pas un juron d'ici que l'on se quitte. On dirait que je n'ai eu droit qu'à ça aujourd'hui, qu'à ça si on exclut le bienheureux Thomas.

-Vous êtres l’avocate de l’hybride que la police à attrapé cette semaine, je me trompe?

Je pousse un profond soupire et étouffe un juron entre mes dents, que je rattrape aussitôt avec de bien maigres excuses.

-Excusez la réaction, c'est que tout le monde ne fait que me parler de cette histoire. Mais je dois vous éclairer sur un point : mon client n'est pas hybride. On l'accuse de faire partie des leurs, mais on n'a aucune preuve puisqu'aucune malformation physique. Entre autres il est accusé de complicité avec les hybrides.

Je me tais, me rappelant brusquement que je suis en train de parler avec un journaliste. Qu'est-ce qui me dit qu'il n'ira pas déformer mes propos quelque part dans un de ses articles ? Je fronce un sourcil tout en commandant à mon tour un café à la serveuse, lui demandant de mettre la commande de monsieur sur ma note. Quand je m'assieds avec quelqu'un dans un restaurant, il est bien rare que je laisse les gens payer leur part. Une fois la demoiselle partie, je me penche un peu en avant.

-Enfin, permettez que je vous demande de ne pas rapporter officiellement mes propos, d'en faire des hypothèses si vous les utilisez. Mon client désirait que l'affaire ne soit pas ébruitée mais c'est trop tard. On en parle partout dans les médias ces jours-ci.

Elle soupire de mécontentement et marmonne ce que je crois être un juron. Barf, j’y suis habituer avec mon métier. Ses excuses, quoi que biens polies, sont inutiles.

-Excusez la réaction, c'est que tout le monde ne fait que me parler de cette histoire. Mais je dois vous éclairer sur un point : mon client n'est pas hybride. On l'accuse de faire partie des leurs, mais on n'a aucune preuve puisqu'aucune malformation physique. Entre autres il est accusé de complicité avec les hybrides.

J’écoute ses excuses patiemment et je ne quitte pas deux secondes mon petit sourire et ma joie à l’idée que j’ai quelques mots de son avocate. Il me faut bien les deux côtés de la médaille, non? Hybride, monstre ou non, on le droit à se défendre, autant en cour que dans le domaine des médias. Sinon, ça fait terne un article qui n’a pas un antithèse.

Mais, elle explique que rien ne prouve que c’est un hybride. Interressant, on ne m’en avait pas averti que ce n’était pas affirmé…Cette nouvelle me satisfait.

Elle se tait…Peut-être vient-elle de se rendre compte que j’étais effectivement journaliste? En tout cas, je suis surpris qu’elle me paie mon café. Je lui souffle un petit merci qu’elle n’a peut-être pas entendu.

Elle explique ensuite de ne pas faire de ses dires des affirmations et tout ça…Bref, le genre de choses que quelqu'un qui connaît les habitudes journalistiques dit quand il est intelligent. Mais, je ne suis pas trop du genre à transformer ce qu’on me dit mais je dois avouer que les accidents et faute d’interpretation, ça arrive à tout le monde…Je prends mon carnet et écrit quelques notes fidèlement.

Les gens ne veulent jamais que ça s’ébruite, dis-je avec un sourire entendu, mais on est payé pour ce mêler de nos affaires…

Je marque une pause.

Vous avez dit que votre client n’est pas hybride, en tout cas, que personne n’a de preuve…Mais, qu’avez-vous à dire sur l’accusation de complicité envers des hybrides?

Je la regarde en attendant qu’elle veule bien me donner quelques réponses de plus.

J'essaie de me convaincre qu'en m'adressant à cet homme je ne fais pas une grossière erreur. Après tout, on m'a bien demandé de ne pas m'adresser à des journalistes. Mais si je lui demande de ne pas parler de moi dans son article, sans doute cela ne me vaudra pas d'ennuis. Et puis après tout, mon client n'a rien fait de mal alors quel mal y a-t-il à vouloir montrer son innocence au public ? Ma foi, rien du tout. Je souris devant son commentaire sur les journalistes. En effet. Comme moi mon travail est de garder des secrets, de les protéger, le sien est de les découvrir.

-Vous avez dit que votre client n’est pas hybride, en tout cas, que personne n’a de preuve…Mais, qu’avez-vous à dire sur l’accusation de complicité envers des hybrides?

Je réfléchis un moment, pesant bien la question. Moi je sais ce qui s'est passé réellement, toutefois je ne parlerai qu'à partir des chefs d'accusation.

-Eh bien vous vous souvenez sans doute de la deuxième guerre mondiale ? Vous gardez sans doute en mémoire que quelques allemands avaient eu la bonté d'âme de cacher chez eux des familles ou des amis juifs. Ces hommes, encore aujourd'hui, nous les voyons comme des héros, n'êtes-vous pas d'accord ?

Je marque une pause, mais n'attends pas sa répondre avant de poursuivre.

-Mon client est accusé présentement d'avoir aidé des hybrides à échapper à la police. On en aurait découvert plusieurs chez lui, et ce serait pour cette raison qu'on désirerait son enfermement. N'y a-t-il pas ici un conflit de valeur ? je demande, comme si je m'adressais au juge.

Je souris en pensant que je suis en train de divulguer une partie de mon plaidoyer. Bah, qu'est-ce que cela peut bien faire ? Cet homme ne sera pas dans l'assistance et ne pourra pas me juger. En plus j'ai l'impression de pratiquer mon discours.

-Qu'il l'ait fait ou non importe peu. Il y aurait des preuves contre lui, des preuves bien faibles si vous voulez mon avis. Enfin, comme les enquêteurs les ont, mon travail consistera plus à faire paraître le crime – si c'est un crime - désuet qu'à l'innocenter.

La serveuse revient et pose nos cafés sur la table, je l'en remercie d'un hochement de tête officieux.

Elle souris à mes remarques…C’est qu’au j’ai l’air un minimum sympathique pour un journaliste…C’est déjà pas mal si t’arrive à faire sourire quelqu’un que tu dérange dans un café avec des questions en rapport avec son travail, non?

Elle se lance sur un discours sur la Deuxième Guerre Mondial. Si je m’en rappelle? Je me sentirais bien inculte de ne pas savoir de quoi il s’agit. À ces premiers mots, je ne vois pas vraiment où elle veut en venir. Puis, ça devient plus claire. J’écris quelques notes à ses paroles. Elle n’a pas tord du tout…Qui sait…Peut-être que dans plusieurs années…La guerre hybride-humain sera vu de la même façon que nous voyons aujourd’hui la Deuxième Guerre Mondiale?

Un conflit de valeur... En tout cas, si le juge n’a pas une haine complètement irraisonné contre les monstres que sont les hybrides, elle a une petite chance de pouvoir gagner la cause de son client…

-Qu'il l'ait fait ou non importe peu. Il y aurait des preuves contre lui, des preuves bien faibles si vous voulez mon avis. Enfin, comme les enquêteurs les ont, mon travail consistera plus à faire paraître le crime – si c'est un crime - désuet qu'à l'innocenter.

Je hoche la tête et lui souris quand elle termine sa « défense » .

Je crois bien que vous en avez assez dit… Je vous souhaite bonne chance pour cette affaire…Enfin, surtout à votre client…Vous semblez bien savoir comment le défendre…Esperez juste un bon oeil de la par du juge...

Je prends une gorgée de mon café.

Si vous pouvez le convaincre que votre client n'est pas hybride...Ce sera déjà ça.

Je porte ma tasse à mes lèvres, les yeux posés sur mon interlocuteur. Premier conseil dans mon métier, ne jamais quitter des yeux l'homme à qui l'on s'adresse. Deuxième conseil – ne s'appliquant pas dans la situation présente – si c'est une femme, redoubler de prudence. Je souris légèrement, les lèvres trempées dans mon breuvage brûlant. Je les en retire, ne supportant pas trop longtemps cette morsure. Je passe ma langue sur mes lèvres pour les soulager un peu, même si elle-même était déjà chaude. Résultat, pas grand-chose.

-J'espère en effet qu'il se fiera à ma réputation.

D'un côté, si le juge me connaît assez bien, il pourrait se douter que j'ai tendance à couvrir même les coupables, et en déduire que mon client est fautif. Toutefois, il peut aussi avoir entendu parler de moi comme de la défenseuse des innocents et ça, ça plaiderait fortement en notre faveur.

-Si vous pouvez le convaincre que votre client n'est pas hybride...Ce sera déjà ça.

Je hoche la tête. Cela avait été notre sujet de préoccupation, à moi et mon client, de découvrir comment prouver pareille chose.

-Nous avons en main des tests médicaux – radios, échos, etc – pour prouver que physiquement, même à l'intérieur, il est tout à fait normal. Encore là, le jury pourrait déclarer que nous avons soudoyé un médecin pour obtenir ces résultats. Ou encore, ils clameront haut et fort que les hybrides n'ont pas tous des caractéristiques physiques.

Je pousse un profond soupire. Comment est-ce qu'on peut prouver que quelqu'un n'est pas hybride mentalement ? Je me le demande.

-Dans quel monde vivons-nous ? Je me croirais réellement revenue en plein génocide antisémite.

-Dans quel monde vivons-nous ? Je me croirais réellement revenue en plein génocide antisémite.

Je l’écoute parler en buvant tranquillement mon café qu’elle a bien voulut me payer…Elle a un avis…Intéressant.

-Est-ce vraiment votre avis ou est-ce seulement ce que vous direz au juge? Dis-je à note plus personnel.

Cette question peut paraître personnel mais je suis curieux. Je ne lui demande pas ça pour mon article…C’est une question dont la réponse ne satisfera que mon propre intérêt si bien sûre, elle accepte d’y répondre. Elle est quand même une avocate, peut-être veut-elle seulement vendre son baratin? Tout comme moi, je vends le mien dans un certain sens…Je suis peut-être cynique, mais pas complètement naïf...C’est quand même son bouleau, je ne l’en blâmerais pas. Mais, son avis m’a fait réfléchir un instant…Et si elle avait raison?

Des hybrides se font massacrés tout les jours dû à leur défaut génétique…Certains sont monstrueux et d’autres leurs caractéristique ne se voient même pas à l’œil nu…Ça me fait penser à mon frère…Lui, ça se voyait par sa peau surtout. Massacré, comme tout les autres. Il n’avait même pas été tué par des autorités policières…Violence gratuite pure et simple. Mais, bien sûre, personne n’a été poursuivis. De toute façon, mes parents n’auraient pas voulu être associé à un hybride et le procès aurait été perdu d’avance. Les hybrides sont tous condamnés. Je n’ai jamais eu un avis sur l’hybridité d’Hugo…Monstre ou non, c’était mon frère…C’était aussi l’opinion de mes parents…Monstre ou non, c’était leur fils…Mais, ils ne le voyaient pas comme un monstre…Pire, comme quelqu’un de souffrant…Un malade qu’il faut soigné…Je n’ai jamais approuvé cette façon de penser.
-C’est une question hors-interview, je vous rassure…

Je ne crois pas de toute façon que ma parole vaut quelque chose. On est tous amalgamé dans le même tas, nous, les journalistes…Mon patron est peut-être du genre à inventer des histoires ou a divulgué des choses personnels sur les gens, mais moi, je ne suis pas comme ça. J’essaie de me montrer le plus honnête possible dans tout ce que je fais.

[aucun commentaire sur le fait que j'ai près de deux mois de retard ...]

Je souris poliment, posant ma tasse devant moi. Celle-ci est presque vide, ne reste que le fond, celui qui goûte toujours trop amer et dans lequel on retrouve toujours quelques grains mal moulus.

-Si je suis aussi réputée dans le monde de la justice que je le suis présentement, c'est parce que je suis un véritable requin. Un avocat ne se mesure pas à la vérité de ce qu'il dit, mais au nombre de procès qu'il gagne ou perd. Je n'en ai perdu aucun. Je n'ai pas de réelle opinion à avoir dans cette affaire. Que cet homme soit innocent ou coupable ne me fera pas gagner d'argent. L'important est qu'il paraisse innocent.

Pour un avocat convaincu de la culpabilité de son client, ce serait risqué de dire une telle chose. Les journalistes – comme celui que j'ai devant moi – s'empareraient d'une information telle et la publieraient partout où ils le pourraient, pour démontrer le manque de cœur de mes collègues. Mais moi, je ne crains rien. Pour moi, mon client est innocent et cela ne fait aucun doute, car ce dont on l'accuse n'est pas un crime à mes yeux.

-Je ne craignais pas que vous le notiez dans votre carnet. Je sais à quoi m'en tenir avec les journalistes, et vous n'avez pas leur air habituel. Vous ne travaillez pas pour l'argent, et un scoop vous passerait sous le nez sans que vous y voyiez d'intérêt. Vous travaillez pour vous, et c'est pour ça que je vous fais confiance.

Un coup d'œil à ma montre me fait grincer des dents. J'ai encore des tas de rendez-vous avant l'audience de cet après-midi. Si je ne me dépêche pas, je ne pourrai peut-être même pas accomplir mon devoir professionnel.

-Je dois partir, je dis en rassemblant mes affaires près de moi. J'ai été ravie de vous rencontrer Cohen. Peut-être nous reverrons nous dans un autre contexte, je l'espère. Je vous laisse ma carte, si vous avez besoin de quelque chose.

Je lui tends un petit carton sur lequel figure mon nom, mon numéro au cabinet et celui de mon portable, ainsi qu'une petite citation au dos, trouvée dans les journaux suite à l'une de mes plus méritantes victoires juridiques.

-Je vais payer à la sortie, vous n'aurez donc pas à le faire en sortant. Passez une bonne journée.

Il ne se passe pas deux minutes entre cette phrase et le moment où je hèle un taxi dans la rue.