Je déteste cette femme. Elle et ses petites boucles rousses. Elle et son grand regard souverain. Elle et sa petite voix cristalline. Elle et son corps suave. Je la hais jusqu’à ses petite canines d’ivoire camouflées sous ses lèvres vermeilles. Je la hais davantage lorsque je vois en elle une ancienne connaissance que j’ai aimée. La reine Zakaria était une femme autoritaire, cultivée, passionnée. Son aura nous disciplinait au respect et à l’humilité. D’elle, nous voyons nos origines, notre futur et toute notre pureté vampirique. De ses mains, elle nous gouvernait avec une volonté de fer et nous dirigeait vers la gloire et la prospérité de notre race. Par ses yeux, elle ne nous contemplait pas comme de vulgaires pions sur son échiquier. Non. Elle nous chérissait, nous abritait dans ses étreintes maternelles, nous protégeait de tous les assauts.
Ida de Barancy, quant à elle, n’est pas la femme requise pour remplacer la défunte reine. Elle est jeune, trop peu expérimentée, ses idéaux sont barbares et révolutionnaires, ses ambitions dépassent l’entendement ; comme si elle détenait les puissances nécessaires pour nous débarrasser des Anges et des Hybrides. Ses décisions nous paraissent, à nous les plus vieux vampires, quelque peu dérisoires et stupides. Elle apporte, malgré nos protestations virulentes, des changements perturbants qui auront des répercussions cuisantes dans les prochaines années. Son désir de vengeance provoque des catastrophes au sein de nos sociétés : les embuscades, les assauts, les combats sanglants, la chaos tout autour de nous.
J’aime ma vie paisible. Mon immense manoir aminé par mes nombreux chiens et par cet insupportable de Dylan. J’aime marcher et chasser dans les rues sombres de Paris dès que le soleil disparaît dans la vaste mer et que la lune, lumineuse et miroitante, s’élève dans le firmament. De plus, j’aime aussi ma solitude, les heures à me souvenir de mon passé douloureux, de l’espoir de revoir ma bague. J’aime qu’on m’oublie pour que je puisse vivre dans la quiétude et la tranquillité, dans la haine et le courroux, dans l’envie et le désir.
Et voilà cette petite Ida qui me convoque, qui me somme d’obéir à ses ordres, de lui rapporter à l’aube un médecin compétent. Résultat, je traverse tout Paris tout en épluchant les hôpitaux jusqu’à dénicher la perle rare et la ravir au monde des humains. Pour tout dire, je crois avoir déposé mon dévolu sur une jeune femme blonde à l’expression sévère. C’est exactement cette femme que je piste depuis bien une demi-heure, la suivant de près tout en demeurant à quelques mètres d’elle.
Parfois je la vois qui jette un coup d’œil derrière son épaule, mais je me glisse dans les ombres des rues et reprends ma promenade dès que le danger s’est éclipsé. Toutefois, les évènements ne se déroulent pas comme je l'escomptais.